En Malaisie, le long et difficile combat d'une militante transgenre - Portrait

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En Malaisie, le long et difficile combat d'une militante transgenre

Nisha Ayub a enduré à elle seule toutes les épreuves que peut subir la communauté transgenre de Malaisie: le mépris, la violence, la détention, et une agression sexuelle dans la prison où elle avait été envoyée pour devenir "un vrai homme".

E-llico.com / Actus

En Malaisie, le long et difficile combat d'une militante transgenre
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Mis en ligne le 31/05/2016

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Transgenre Malaisie Nisha Ayub

A deux reprises, cette femme transgenre de 37 ans a essayé de se suicider, détruite par la répression dont font l'objet dans ce pays à majorité musulmane ceux qui se considèrent d'un sexe différent de celui de leur naissance.

Selon les militants transgenres, leur communauté est de plus en plus la cible de poursuites judiciaires et de discriminations, du fait des lois islamiques strictes qui régissent le pays.

"Ils vous traitent comme si vous n'aviez aucun droit, aucune dignité," se désole Nisha Ayub.

Elle est parvenue à dépasser sa colère pour devenir une militante de premier plan des droits des LGBT.

En mars, elle a été la première femme transgenre à recevoir le prix "International Women of Courage" décerné par le département d'Etat américain aux "femmes courageuses" qui se battent pour l'égalité des droits.

Pendant des années, la famille de Nisha Ayub l'a rejetée à cause de son orientation sexuelle, confie la militante de confession musulmane, vêtue d'une jupe ample et d'une chemise à manches longues.

En 2000, à peine âgée de 21 ans, elle est arrêtée par la police religieuse et condamnée par un tribunal de la charia - chargé des affaires religieuses civiles impliquant des musulmans - qui s'appuie sur une loi interdisant le travestissement pour lui infliger trois mois de prison.

"Pour que je redevienne un vrai homme musulman", répète Mme Ayub en se remémorant les paroles du juge.

Lorsqu'elle est envoyée dans une prison pour hommes, elle est déjà "pleinement devenue femme", explique-t-elle sans vouloir donner plus de détail sur ce qui relève à ses yeux de sa sphère intime.

En détention, Nisha Ayub raconte qu'un gardien de prison l'a forcée à exhiber ses seins devant des détenus. Une fois, plusieurs d'entre eux l'ont obligée à leur faire des fellations.

Peur permanente

Dans un rapport de 2014, l'ONG Human Rights Watch (HRW) a classé la Malaisie comme "l'un des pires pays" au monde pour les personnes transgenres.

Nisha Ayub, elle, a trouvé son salut dans la défense de leurs droits.

En 2014, elle a créé la Fondation SEED, qui vient en aide aux transgenres et à d'autres populations marginalisées.

Aucun chiffre officiel n'existe sur les transgenres en Malaisie. Mais il est commun de voir des femmes transgenres travailler dans des restaurants ou des magasins, en particulier dans la capitale Kuala Lumpur. 

Elles vivent dans la peur permanente d'une agression. Récemment, une femme transgenre a été attaquée et son agresseur a reçu une simple amende de 400 ringgit (100 dollars), raconte Nisha Ayub.

Souvent, les victimes d'agressions se refusent à appeler la police. Avec son association, Nisha Ayub leur vient en aide en leur indiquant vers qui se tourner si elles sont attaquées ou arrêtées.

La militante souligne que la situation des transgenres est plus difficile encore dans son pays que celle des homosexuels. "On peut être gay ou lesbienne sans que vous ne le remarquiez. Une personne transgenre, en général ça se voit."

L'homosexualité est également interdite en Malaisie, où elle est passible d'emprisonnement et de châtiments corporels.

Victoire historique

A travers sa récompense, le département d'Etat américain a reconnu le courage de Nisha Ayub et "sa profonde humanité", a expliqué l'ambassade américaine à Kuala Lumpur.

En 2014, elle a joué un rôle clé dans la contestation d'une loi islamique interdisant aux hommes de s'habiller en femmes. Dans un arrêt considéré comme une victoire historique par les militants, la Haute Cour de justice avait qualifié cette loi d'"oppressive et inhumaine".

Mais ses prises de positions publiques représentent aussi un risque pour cette militante.

Soucieux de conserver sa base électorale, le gouvernement conservateur se montre conciliant à l'égard des opinions de plus en plus radicales à ce sujet dans le pays.

L'an dernier, Nisha Ayub a été agressée par des inconnus dans la rue. Même si elle fait un lien direct entre cette attaque et son engagement, elle reste déterminée.

"Pourquoi devrais-je avoir peur de dire la vérité?", demande-t-elle.

Quelques jours après que Nisha Ayub eut reçu le prix du département d'Etat, la police islamique a fait une descente à Kuala Lumpur dans les bureaux d'un collecteur de fonds en faveur des transgenres. La vidéo du chaos laissé par la police a fait le tour des réseaux sociaux.

La suite du combat "ne va pas être facile", reconnaît Nisha Ayub.

Dan Martin   

(Source + photo AFP)

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