Moscou
Pride 2006, le défi
Dix jours à peine après la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, c’est à Moscou que le mouvement LGBT a rendez-vous, pour la première Gay Pride jamais organisée en Russie. Après des mois de tension et de menaces (politiques ou religieuses) pour tenter de l’interdire, cette Marche s’annonce comme celle du courage. "Illico", avec Nikolaï Alekseev, son principal organisateur, vous en raconte les coulisses et les enjeux.
Par Jean-François Laforgerie
Un signe de mauvais augure ? Non. La remise, par le président russe Vladimir Poutine, mi avril, de l’ordre "des mérites devant la patrie" au leader ultranationaliste homophobe Vladimir Jirinovski n’a pas douché l’enthousiasme. Les militants LGBT y croient dur comme fer. Leur Gay Pride, la première en Russie, aura bien lieu le 27 mai prochain. Dès le départ, les organisateurs — le journaliste et militant Nikolaï Alekseev en tête ont joué la carte de la mobilisation internationale. Une décision stratégique qu’ils ne regrettent pas aujourd’hui.
"Cette mobilisation est capitale, note Nikolaï Alekseev. Elle permet de maintenir notre projet dans l’actualité médiatique en Russie. De plus, c’est l’unique moyen pour nous de faire pression sur la mairie de Moscou alors que le maire Yuri Luzhkov refuse depuis des mois la tenue de la manifestation". Pour Nikolaï Alekseev, le "soutien international n’est pas à l’origine des réactions négatives" que connaît le projet, mais résulte de "la simple idée qu’une minorité sexuelle puisse affirmer son droit à la différence et revendiquer des droits."
La culture démocratique russe et la façon de traiter les questions de mœurs étant assez différentes de ce qui se passe en Europe, n’y avait-il pas un risque à choisir une forme de manifestation et de visibilité d'inspiration occidentale ? "Je fais partie de ceux qui pensent qu’un être humain est le même partout, avance Nikolaï Alekseev. Parfois, j’entends dire en Russie : "Moscou n’est pas Amsterdam". Cela ne veut rien dire. Cette Gay Pride est importante car elle va permettre de montrer que la société russe est beaucoup plus tolérante qu’on ne le croit à l’égard des personnes LGBT. Et cette tendance est visible dans les chiffres. Nous publierons à l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie les résultats de notre baromètre annuel [sur l’attitude à l’égard des homosexuels, ndlr]. Ils sont surprenants. C’est bien ce qui fait peur aux dignitaires religieux. Les Russes ne sont pas les "moutons" que certains décrivent parfois."
Reste une question. Très médiatisée, la Gay Pride intéresse-t-elle les Russes ou, en dehors de Moscou, les laisse-t-elle indifférents ? "Les Moscovites sont assez indifférents car leur niveau de vie est très supérieur au reste du pays, constate Nikolaï Alekseev. Du coup, ils n’ont pas autant besoin que les autres de chercher des boucs émissaires à leur misère, comme les gays ou les étrangers peuvent l’être. S’il fait beau le samedi 27 mai, ils seront en train de se reposer en dehors de la capitale dans leurs datchas. Et s’il pleut, ils resteront à la
maison ! Cela me fait bien rire lorsque j’entends qu’il y aura un million de personnes dans les rues de Moscou contre notre Gay Pride. Une chose est sûre : le sujet est traité partout dans les médias et pas seulement à Moscou, mais l’opinion est assez indifférente."
Confiants, les organisateurs attendent désormais le feu vert. Leur stratégie semble, pour le moment, payante au vu de l’intérêt que suscite la manifestation. Quoi qu’il se passe le 27 mai prochain, une
chose est certaine : la communauté LGBT russe (que la Gay Pride soit interdite ou non, quelle rassemble quelques dizaines ou des milliers de personnes) aura montré son vrai visage : celui du courage.
Lire notre portrait de Nikolaï Alekseev, organisateur de la Gay Pride de Moscou.
Infos sur la Gay Pride Moscou et les autres manifestations sur www.gayrussia.ru