Comment devient-on homo ?
Naît-on homosexuel ou le devient-on ? La question, ancienne, se pose encore chez les gays et les lesbiennes… comme chez leurs parents. Pourtant, à bien des égards, elle semble dépassée. En fait, on devrait plutôt chercher à comprendre ce qui détermine notre orientation sexuelle… qu’on soit homo ou hétéro. Stéphane Clerget, médecin et chercheur, vient d’y consacrer un ouvrage passionnant.Par Jean-François. Laforgerie
"Trisomique homosexuel : ça existe ?" ironisait récemment un internaute sur un forum de discussion. Une façon cruelle de poser la sempiternelle question de savoir : si on naît homosexuel ou si on le devient ? Mais dans le fond, à part des médecins et quelques chercheurs, cette question intéresse-t-elle encore les gays et les lesbiennes ? "Elle n’est pas ou peu posée. Celles et ceux qui viennent nous voir sont sûrs de leur attirance. Ce qu’ils veulent, c’est savoir comment ils vont vivre leur sexualité, explique Solange Glover –Dondeau, présidente du MAG Jeunes gais et lesbiennes. En revanche, cette question est très souvent posée lors de nos interventions dans les lycées. Les jeunes, auprès desquels nous intervenons, demandent souvent si c’est un choix. Les gays et les lesbiennes qui viennent au MAG ont déjà un peu réfléchi à ça. Cette question de l’origine de l’homosexualité, on se la pose au départ puis on passe très vite à autre chose. Si on vit bien son homosexualité, savoir pourquoi devient très secondaire. Et puis surtout, il n’y a pas de réponse satisfaisante. D’ailleurs, je me demande même si cette question est pertinente. Après tout, personne ne se demande pourquoi il est hétéro."
"Cette question de l’inné ou de l’acquis, les parents se la posent encore. Ce sont principalement des mères qui viennent nous voir, rappelle Sylvain Guého, un des responsables de l’association Contact [parents d’enfants homos]. Elles se demandent ce qu’elles ont fait pour avoir un enfant gay… Les parents veulent d’emblée savoir s’ils ont une responsabilité et laquelle. Notre travail consiste à permettre l’expression de ce que les parents ressentent et à les faire réfléchir. Par exemple, lorsque des parents pensent qu’un de leur fils a "choisi" d’être gay, on leur demande si leurs autres enfants ont "choisi" d’être hétéro ? Il ne s’agit pas d’apporter des réponses toutes faites, ni de délivrer un message mais de faire réfléchir les parents. L’orientation sexuelle, qu’elle soit homo ou non, est la résultante d’un mélange d’inné et d’acquis et de bien d’autres facteurs."
"Cela n’a pas beaucoup de sens de poser aujourd’hui la question de l’inné et de l’acquis en opposant l’un à l’autre. A notre sens, il vaut mieux suivre la piste proposée par le généticien Axel Kahn d’une interaction entre le génétique et ce que l’on acquiert, explique Solange Glover –Dondeau du MAG. Les études génétiques ne prouvent pas l’existence d’un gène de l’homosexualité mais pas d’avantage qu’il n’existe pas… Personne ne peut, aujourd’hui, écarter la thèse génétique. Croire qu’il n’y aurait qu’une "cause" unique à l’homosexualité ne tient pas."
Cette thèse que l’homosexualité (et par extension l’orientation sexuelle) s’expliquerait par une multitude de facteurs, scientifiquement la plus plausible, n’est évidemment pas retenue par un certain nombre d’adversaires des homos, dont nombre de politiques qui en profitent pour agiter le spectre d’une "rééducation". L’exemple le plus emblématique est Christian Vanneste qui expliquait (1) : "L’homosexualité est un comportement culturel, acquis, de l’ordre du réflexe, sans doute acquis dans un âge précoce, mais comme tous les comportements réflexes plutôt négatifs, on peut parfaitement l’inhiber ou le rééduquer."
Fort heureusement, l’exemple est rare et ne fait guère école. "Il n’y a quasiment pas de parents, du moins qui viennent nous voir, qui se mettent en tête de "rééduquer" leurs enfants" note Sylvain Guého de Contact. Reste que cette question a décidément la vie dure. "On peut s’étonner que la question des origines de l’orientation sexuelle se pose surtout à propos de l’homosexualité, note Stéphane Clerget qui vient de consacrer un ouvrage sur ce thème. Mais c’est souvent à partir du minoritaire que l’on parvient à définir le majoritaire. Comprendre la façon dont on devient homosexuel permet d’éclairer la façon dont on devient hétérosexuel ou bisexuel".
(1) Intervention à l’Assemblée Nationale, 7 décembre 2004.