l'ère du soupçon ? - Transmission du VIH

Transmission du VIH

L'ère du soupçon ?

Depuis la décision judiciaire de 2005, la pénalisation de la transmission par voie sexuelle du VIH fait débat. Alors que des affaires concernant des couples hétéros viennent en justice, qu’en est-il pour les homosexuels ? Le débat est complexe et devrait l’être encore davantage avec la montée en puissance de nouvelles approches de prévention, et avec la menace d’une éventuelle loi spécifique pour les séropositifs.

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l'ère du soupçon ?
Transmission du VIH

Mis en ligne le 28/11/2006

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Par Jean-François Laforgerie

Eviter la criminalisation des séropos, tel est le credo, depuis des années des associations de lutte contre le sida. Ce n’est pas un choix de facilité, mais un choix issu d’un refus de la discrimination. Il est aussi défendu parce qu’une telle stratégie est jugée aberrante sur le plan de la prévention. Jusqu’à présent, la France n’a été que très peu concernée (deux affaires à ce jour) par les actions en justice pour transmission du VIH par voie sexuelle. Il n’en demeure pas moins que la décision de la cour d’appel de Colmar, en 2005, (voir p. XX) a obligé l’ensemble des acteurs de la lutte contre le sida à se repositionner sur des notions complexes comme la responsabilité pénale, la responsabilité morale, la responsabilité conjointe lors des relations sexuelles, le consentement, le risque, etc. Des associations importantes comme Aides, Act Up, Sida Info Service, Warning ont tenté de trouver un moyen de concilier ce qui ressort de la responsabilité individuelle et du développement de la solidarité avec les personnes et de la reconnaissance, dans certains cas, du tort fait aux victimes… Le débat n’est d’ailleurs pas clos.

Reste une question : pourquoi n’y a-t-il pas de plaintes d’homosexuels contaminés par leurs partenaires et doit-on craindre que ce qui survient chez certains couples hétéros arrive chez les couples homos ? Il y a bien des explications à cette situation dont celle de notre propre histoire. Dans les premiers temps du sida, personne ne recherchait l’origine de la contamination, l’épidémie était la conséquence d’un manque de connaissances, un aléa historique qui s’imbriquait presque logiquement à nos vies de gays. Une fatalité en somme. Alors à quoi bon savoir qui ? Pour certains, tout a changé avec l’arrivée du discours idéologique sur le bareback en 2002. "Dans un contexte de pratique de bareback, la signification de la contamination n’est plus la même (…) Il devient juridiquement valable de poser la question des contaminations volontaires ou dues à des négligences graves" avance ainsi Didier Lestrade (1).

"Faire face à l’épidémie de manière solidaire a marché par le passé, note Emmanuel Château, co-président d’Act Up-Paris. Aujourd’hui, tout le monde abandonne cette règle de solidarité. Tout concourt à dire que la prévention repose sur les seuls séropositifs et donc la responsabilité. Qu’est devenue notre solidarité lorsque des séronégatifs n’envisagent même pas qu’ils puissent avoir une histoire d’amour avec un séropo ? Nous sommes dans un contexte de déni où il est à craindre que la pénalisation de la transmission soit une manière d’exorciser le sida." Une autre crainte subsiste parmi les associations : celle que les politiques se saisissent de cette question et décident de créer une loi spécifique pour pénaliser la transmission par voie sexuelle comme c’est déjà le cas dans d’autres pays (voir p. X). "Nous avons tout à craindre d’une législation spécifique, explique Emmanuel Château. Ce que les pouvoirs publics doivent faire, c’est adapter la responsabilité conjointe à la réalité de terrain. C’est contribuer à ce que chacun, séropositif, séronégatif, ignorant de son statut, réfléchisse à ses propres responsabilités (2)."

Pour le moment, la menace politique ne semble pas imminente mais nous ne sommes à l’abri de rien dans l’avenir. Que vaut aujourd’hui cette idée que la pénalisation est là pour endiguer la propagation du virus du sida au moment où l’on note l’arrivée de nouveaux paramètres de prévention ? Il est aujourd’hui évident que le débat sur la pénalisation va changer de nature. Il sera à mettre en lien avec de nouvelles approches bio-médicales de la prévention du VIH comme la circoncision masculine, les tests de dépistage rapides, le traitement de pré-exposition, le traitement comme moyen de prévention. On n’a donc pas fini d’en parler.

(1) "Journal du sida", décembre 2004.

(2) Voir l’édito ("Action", avril 2005) de Jérôme Martin sur ce sujet sur www.actupparis.org

Ceux qui souhaitent plus particulièrement réfléchir à la question de la responsabilité des personnes séropositives peuvent lire la passionnante analyse de Mélanie Heard dans la revue "Esprit", décembre 2005.

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