Hommage à Jean Le Bitoux par Jacky Fougeray
Hommage à Jean Le Bitoux
A l’annonce de la mort de Jean, une image m’est revenue; celle de notre toute première rencontre. C’était en 1976, Jean m’avait écrit après avoir appris la naissance du Groupe de Libération Homosexuel (GLH) d’Orléans que j’avais créé sur la campus où j’étais étudiant.
Il m’avait invité à Paris, à assister à une Assemblée du GLH-PQ dont il était une des figures de proue.
Dans une salle de réunion de l’université de Jussieu, j’avais rapidement été frappé par son charme évident, son éloquence et sa capacité à capter plus que d’autres l’attention de l’assistance.
Nous avons sympathisé lorsque Jean m’a invité à cette adresse qui était la sienne mais aussi ce nid communautaire un peu utopique qui servit de salle d’accouchement à Gai Pied, l’appartement du boulevard Voltaire, qu’il partageait avec quelques amis et où on mangeait, dormait, discutait, refaisait le monde - quand on n’y couchait pas…
Plus tard, ce fut un mas d’Ardèche, sans électricité et sans commodités, qui une semaine d’été durant, servi de lieu de conception à ce journal qui n’avait pas encore de nom. Tout était encore flou de ce qu’allait être le futur Gai Pied, sauf une chose : ce journal devait nous permettre à nous, militants gays, de passer à une autre étape de notre combat. Toucher un public plus vaste et dépasser la pratique groupusculaire du militantisme pour franchir un palier qui permettrait aux homosexuels d’accéder à cette « libération » que nous souhaitions tant.
Jean Le Bitoux aura été, le premier et le plus remarquable de cette bande de jeunes gens qui, derrière lui, se sont rassemblés pour que Gai Pied naisse.
Gai Pied, on ne le dira jamais assez, n’a pas été qu’un journal. Il a marqué pour toute une génération d’homosexuels français, un tournant dans leur vie et celle des générations qui ont suivi.
Gai Pied, ce fut une vent nouveau dans la tête et dans la vie des « pédés » - comme nous aimions nous appeler - des années 8o.
Chacun de ceux qui ont pris part à l’aventure avait du talent ou du savoir-faire sans lesquels Gai Pied n’aurait pas été ce qu’il a été. Gai Pied, ce ne fut pas que Jean. Gérard Vappereau et Gilles Barbedette - tous deux disparus -, Yves Charfe et quelques autres ont été les artisans décisifs de cette aventure. Mais sans Jean qui a pu nous agacer, et même davantage en ce qui me concerne, Gai Pied n’aurait pas été ce qu’il a été. Un creuset de personnalités, un carrefour brouillon de vie et d’idées, un outil de transformation de la société et du quotidien des homos.
Grâce à son charisme, Jean a su fédérer les plus belles énergies de l’époque autour de cette « maison commune » des homos qu’a été Gai Pied, éclipsant pour un temps tout le reste de la vie gay ou presque.
C’est avec des gens comme lui que se fait l’histoire. Celle des homos lui doit définitivement beaucoup.
Et ce, d’autant qu’il n’est pas devenu un « dignitaire » de cette histoire. Qu’il n’en pas été le « rentier ».
Jean n’était pas une homme d’appareil, ni d’entreprise. Quand les projets auxquels il avait donné corps s’institutionnalisaient, il s’en écartait ou en était écarté. Il reprenait alors son chemin de pionnier pour d’autres missions, toutes liées à la cause gay.
Pour moi, ces années "magiques" partagées avec lui au Gai Pied des tout débuts, resteront à jamais les moments les plus marquants de ma vie de militant-journaliste gay. Elles ont décidé de la suite de ma vie.
Jacky FOUGERAY
Ancien Rédacteur en chef de Gai Pied (1980-1982)
Directeur d’Illico/E-llico.com