Pour cet auteur de nombreux ouvrages sur la famille, les genres ou les nouvelles techniques de procréation, le projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels répond à plusieurs évolutions de la société.

"Notre société, depuis plus de 15 ans, a changé radicalement d'attitude à l'égard de l'homosexualité, qu'on ne veut plus considérer ni comme un péché ni comme une pathologie", énonce-t-elle d'abord. Ainsi, "ce projet s'inscrit dans un mouvement d'intégration du lien de couples homosexuels dans la vie sociale", suite logique du PaCS voté en 1999.

Mais "il traduit aussi un changement du mariage lui-même", selon la directrice d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

La sociologue rappelle qu'il y a treize ans, elle s'était elle-même déclarée favorable "à une union pour les personnes de même sexe, avec tous les droits du mariage".

"Mais je n'étais pas favorable à l'emploi du mot 'mariage'", dit-elle. "Car j'avais appris depuis toujours que le coeur du mariage, ce n'est pas le couple, mais la présomption de paternité: le père est celui que les noces désignent, selon la formule du droit romain", explique-t-elle.

"Historiquement, le mariage civil n'était pas un lien simplement conjugal mais la base de la famille, en particulier la base de la paternité", ajoute-t-elle, rappelant qu'"au temps de l'ordre matrimonial de la famille, seuls les enfants de parents mariés avaient vraiment des pères".

Or pour la sociologue, les choses ont changé: "Le coeur du mariage, ce n'est plus la présomption de paternité, c'est le couple".

"Privilège matrimonial"

En effet, "un mouvement historique d'égalisation progressive des droits des enfants naturels et légitimes a distingué le mariage et la filiation", explique-t-elle. Et de rappeler qu'en 2005 cette distinction entre enfants naturels et légitimes a purement et simplement été supprimée.

"Dès lors que la filiation devient indépendante du mariage, le mariage devient un lien de couple", juge Irène Théry. Et peut donc être ouvert à tous, selon elle.

Mais "ce n'est pas parce que le mariage n'est plus le socle de la filiation qu'il est sans rapport avec elle", ajoute la sociologue.

Le projet de loi va ainsi rendre accessible l'adoption, aujourd'hui ouverte aux couples mariés et aux célibataires, aux couples homosexuels.

Pour Irène Théry, le texte devrait aller plus loin: réserver l'adoption aux couples mariés uniquement est "un résidu du temps passé", estime-t-elle, et il serait logique de ne plus en faire "un privilège matrimonial", en l'ouvrant à tous les couples, mariés ou non mariés, hétéros ou homos.

Et "dès lors qu'on imagine une filiation possible - via l'adoption - avec deux pères ou deux mères, il serait logique de poser aussi la question de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP)" pour les couples de même sexe, juge-t-elle.

"J'admets qu'on fasse une loi immédiate sur le mariage et l'adoption, et ensuite une autre sur la parentalité", dit Irène Théry, mais "à condition qu'on ait un calendrier précis, et que ce ne soit pas une fausse promesse" du gouvernement, qui a évoqué "une loi complémentaire sur la famille" pour reparler notamment de l'AMP.

"On est est en train de dessiner, depuis 20 ans, un nouveau paysage familial et de nouvelles valeurs communes, ce qui ne veut pas dire moins de valeurs qu'avant", conclut la sociologue.

(Source AFP)