
Couples binationaux
La justice donne au mariage gay une portée très large
En permettant mardi l'union d'un Français et d'un Marocain, la cour d'appel de Chambéry a érigé l'ouverture du mariage aux couples homosexuels en "principe essentiel" du droit français, estiment les spécialistes. Que signifie cette décision et quelle est sa portée?
E-llico.com / Actus
La justice donne au mariage gay une portée très large
Couples binationaux
Mis en ligne le 22/10/2013
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Qui est concerné?
Cette affaire est la première examinée par la justice concernant un couple binational qui se voit refuser le mariage. Même si un arrêt d'appel a moins d'autorité qu'une décision de cassation, son raisonnement pourrait inspirer d'autres juridictions. Or, potentiellement, tous les couples homosexuels comprenant un ressortissant d'Algérie, de Tunisie, du Maroc, du Laos, du Cambodge, de Pologne, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de Serbie, du Kosovo et de Slovénie, sont concernés.
Pourquoi le problème touche-t-il seulement ces onze nationalités?
Traditionnellement, en France, les époux de nationalités différentes devaient respecter les conditions posées par leurs pays respectifs pour se marier. Or la loi du 17 mai dernier déroge à ce principe : deux personnes de même sexe peuvent se marier si, "pour au moins l'une d'entre elles, soit la loi" de son pays d'origine, soit la loi de l'Etat (où elle réside) le permet".
Mais le ministère de la Justice, dans une circulaire adoptée fin mai, crée "une exception dans l'exception", explique Hugues Fulchiron, directeur du Centre de droit de la famille de l'université Jean Moulin-Lyon III. Selon ce texte, un mariage homosexuel ne peut être célébré quand la France a conclu avec le pays d'origine d'un des futurs époux une convention régissant le mariage. C'est le cas pour ces 11 pays, issus notamment de la décolonisation.
Pourquoi la justice a-t-elle décidé, malgré cette circulaire, que le mariage devait être célébré?
En première instance comme en appel, les juges se sont appuyés sur une notion ancienne du droit français : celle d'"ordre public international". Elle regroupe les principes assez essentiels pour écarter les traités conclus avec d'autres pays. "Très classique en droit de la famille", selon Hugues Fulchiron, cette notion permet d'interdire la polygamie ou la répudiation. Mais "toute la question est de savoir si le mariage homosexuel est devenu un principe essentiel du droit français", ce que la loi n'indique pas explicitement, précise-t-il.
Comment la justice analyse-t-elle la loi sur le mariage pour tous?
Les juges ont estimé que le législateur avait "voulu donner le plus grand rayonnement possible" à son texte, en "multipliant les hypothèses où le mariage pourra être célébré en France", décrypte Hugues Fulchiron. Pour la cour d'appel de Chambéry, les nouveaux droits au mariage ont "été rendus délibérément accessibles" aux étrangers vivant en France - quels que soient les accords avec leur pays d'origine. L'analyse des juges rejoint celle de plusieurs spécialistes.
"La loi du 17 mai 2013 a clairement inscrit la possibilité du mariage entre personnes du même sexe comme principe supérieur en France", écrivait en juin Christine Bidaud-Garon, de l'université Lyon-III, dans la revue juridique JCP.
Comment clarifier définitivement la situation?
Le ministère de la Justice a "pris acte de cette décision isolée mais est conscient du problème". Il "attend" désormais un éventuel pourvoi du parquet général de Chambéry, qui n'a pas fait connaître sa décision. La chancellerie n'envisage pas pour l'heure de modifier ses consignes aux parquets, comme le lui ont demandé lundi l'inter-LGBT et plusieurs associations, réclamant une circulaire permettant à tous les couples de même sexe de se marier en France.
Le ministère de la Justice dit envisager de "solliciter le ministère des Affaires étrangères" pour trouver une solution "à l'occasion de la renégociation des 11 accords". Une hypothèse cependant jugée "assez irréaliste" par l'avocat des requérants, Didier Besson.
(Source AFP)