Disparition de Têtu
La fin d'un cycle ?
La disparition de Têtu sonne comme un coup de semonce dans la communauté LGBT. N'est-elle pas la marque de la fin d'un cycle de l'histoire de mouvement gay et lesbien ?
E-llico.com / Actus
La fin d'un cycle ?
Disparition de Têtu
Mis en ligne le 23/07/2015
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Le magazine gay Têtu placé en liquidation judiciaire
La disparition de Têtu, après celle de Gai Pied en son temps et de plusieurs médias LGBT ces dernières années, pose une fois de plus la question de la pérennité de la presse gay dans son ensemble.
Si Têtu a existé ces 20 dernières années, c'est par la grâce - et la fortune - d'une homme, Pierre Bergé, qui a permis à ce magazine d'exister et qui l'a soutenu alors que l'entreprise éditrice n'a jamais atteint de viabilité financière. Loin s'en faut.
En le cédant à Jean-Jacques Augier pour un euro symbolique, il a passé le relais sans avoir trouvé le moyen d'assurer l'équilibre du titre. Et son successeur n'a pas réussi à relever le défi.
Etait-ce d'ailleurs possible? Rien n'est moins sûr. Les langues se délient aujourd'hui pour constater que les annonceurs grand public n'ont jamais vraiment joué le jeu avec la presse gay et Têtu en particulier.
C'est un constat inconstestable mais tardif et désormais, hélas, inopérant. Têtu a longtemps affirmé le contraire et s'est même prévalu d'avoir fait bouger les lignes en la matière. Il n'en était rien. Ou en tout cas les choses avaient trop peu évolué.
Mais le trop faible intérêt de la publicité pour les médias gay n'est pas seul responsable des difficultés qui conduisent à la fin de Têtu.
Le magazine connaît, comme Gai Pied il y a une vingtaine d'années, un effet de cycle lié à l'histoire même de l'homosexualité et à sa forte évolution dans la société ces dernières années.
Avec la conquête des droits nouveaux et fondamentaux comme le mariage et l'adoption, un chapître de cette histoire s'est tourné et Têtu qui s'est battu aux côtés du mouvement LGBT pour la conquête de ces droits se trouvait confronté à la necessité de trouver un nouveau souffle éditorial.
Un défi supplémentaire ajouté à celui de trouver un modèle économique dans une période troublée pour la presse écrite avec la suprématie galopante du numérique qui rebat les cartes de l'information.
Beaucoup de défis difficiles et simultanés donc. Trop sans doute.
Comme lors de la fin de Gai Pied, l'arrêt de Têtu, média LGBT prééminent, apparaît à beaucoup comme un cataclysme. Et il est vrai que la disparition d'un média emblématique de la communauté gay n'est pas une bonne nouvelle en soi.
Et ce d'autant plus qu'on peine toujours à voir ce qui pourrait lui succéder. C'est le propre même des périodes de fortes mutations.
Le sentiment est d'autant plus accentué qu'au même moment le site Yagg est également en danger, confronté lui aussi à un problème de modèle économique alors qu'il est un pure player.
Il apparaît une sorte de situation paradoxale qui juxtapose un moment de forte progression des droits LGBT dans la société avec le déclin des moyens d'information qui ont contribué à ces grandes avancées.
Ce paradoxe n'est pas inédit. La presse féministe a quasi disparu à mesure que les droits des femmes s'imposaient et une partie de la presse de gauche a sombré avec l'arrivée du PS au pouvoir.
Cela ne signifie en rien, bien entendu, que le combat est fini et que l'histoire des droits LGBT s'arrête.
Les choses se déplacent et de même que des interrogations fortes pèsent sur le sens et l'avenir des gay pride, la presse LGBT va devoir se réinventer. Sous des formes sans doute très différentes de ce que nous avons connu jusqu'ici. De façon sans doute plurielle et même peut-être éclatée.
C'est aux nouvelles générations nées après l'hécatombe du sida et la révolution gay qu'il revient de penser et de mettre en oeuvre des médias communautaires nouveaux pour porter les nouveaux combats LGBT dans un contexte numérisé et mondialisé.
Cela prendra peut être un peu de temps, mais il n'y a pas de raison de douter de l'inventivité ni de la nécessité à voir éclore un nouveau payasage médiatique gay, lesbien et transgenre dont on voit déjà poindre quelques pousses.
Jacky Fougeray, éditeur d'e-llico.com