Russie
Les homos face à l’intolérance
Les "Bleus", (pédés en argot russe), n’ont pas bonne presse dans la Russie de Poutine. Juriste, spécialiste des droits des homos, Nicolaï Alekseev, lui–même victime de discrimination, revient sur le fameux mariage gay de Moscou et explique quelle est la situation des homos et des lesbiennes dans la Russie d’aujourd’hui.
Quels sont aujourd'hui les droits des homosexuels en Russie et notamment existe-t-il une forme de reconnaissance du couple de même sexe ?
Les homosexuels ont le droit de s’amuser dans des clubs, saunas ou bars à condition que ceux-ci ne soient pas trop visibles de l’extérieur. Pour le reste, tant qu’ils se taisent et ne revendiquent rien, tout va bien. Avant d’imaginer une quelconque forme de reconnaissance juridique des couples homosexuels, encore faudrait-il que la société russe accepte de voir deux hommes ou deux femmes habiter ensemble ! Je ne parle même pas de se tenir la main dans la rue ou pire encore… de s’embrasser en public !
De quand date la revendication de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, qui la porte et qui s'y oppose (notamment dans les partis politiques) ?
Dans la précédente Douma (l’équivalent de l’Assemblée Nationale pour la Fédération de Russie, ndlr) en 2003, certains députés de partis libéraux ont tenté une approche sur la question. Les élections n’étaient pas loin et ils n’ont finalement pas poursuivi dans cette voie. A l’époque, je leur avais fait remarquer que leur proposition n’était pas très sérieuse sans un réel débat. Les résultats des élections ont exclu les libéraux de la nouvelle assemblée. Les unions de personnes de même sexe n’étant pas une priorité du président Poutine, dont le parti, Russie Unie, a l’actuelle majorité, rien ne se fera pour l’instant. Les communistes sont contre les homosexuels. Quant au parti nationaliste de Jirinovski, même si ce dernier est connu pour son goût du scandale et serait une personne qui pourrait soutenir cette idée, le personnage qu’il est pourrait rendre notre requête un peu trop fantaisiste pour l’opinion publique.
Comment expliquez-vous l'émergence de cette revendication aujourd'hui ?
Ce n’est pas une revendication ! Si le mariage gay ou lesbien était possible aujourd’hui, un nombre infime de couples gays ferait la démarche. Tant que l’homosexualité ne sera pas acceptée plus facilement, les couples resteront cachés… les gays continueront leur double vie. Comparez la France des années 80 à la France de 2004 : pensez vous que Noël Mamère aurait pu organiser la même cérémonie il y a 20 ans ? Il est nécessaire aujourd’hui en Russie de mieux faire accepter l’homosexualité et la visibilité des homosexuels dans la société. L’ouverture du mariage est l’aboutissement de ce processus. Ce n’est pas le début ! Pour en revenir sur ce que je qualifie ouvertement de "farce de l’année", je peux vous prouver que ces deux hommes ont tout fait pour que leur tentative de mariage échoue…
On les voit notamment sur une photo de presse prise au dépôt de leur demande avec l’officier d’état civil tenant la demande de mariage qui vient de lui être remise dans sa main. En grossissant la photo on peut lire les deux noms des intéressés. L’un des deux, le propriétaire d’un site à vocation purement commerciale, a clairement inscrit son pseudonyme et non pas son véritable nom. Aux yeux de la loi et du code de la famille, il est strictement interdit de se marier sous un pseudonyme sous peine de nullité de la procédure… Vos lecteurs apprécieront leur geste "purement désintéressé"…
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De façon générale, quel est l'état de l'opinion publique sur la question des droits des homosexuels ?
Globalement, on peut dire que dans un pays ou la pension de retraite moyenne représente le prix d’un tee-shirt de mode à Paris, il est très facile de stigmatiser les minorités. Ajoutez à cela l’indifférence et la peur de l’inconnu, finalement propres à toute société, et vous comprendrez que l’opinion publique a d’autres préoccupations…
En dépit de son morcellement et de sa propension à privilégier la dimension commerciale, la scène LGBT russe est-elle à même d'exercer un lobbying efficace sur la question des droits des minorités sexuelles ?
Il faut scinder la communauté gay russe en deux parties. Tout d’abord, les gens qui, gays ou hétéros, cherchent à exploiter le filon "gay" pour faire leur commerce : sites Internet, agences d’escorts, bars, clubs, saunas, etc. Dans un pays en voie de développement ou les privations du passé sont encore le présent de beaucoup, chacun cherche à gagner sa vie pour s’offrir le meilleur de ce que la société de consommation propose. A ce sujet, Moscou, plus grande capitale européenne, n’est pas représentative de la Russie. Le niveau de vie y est nettement supérieur. Il reste malgré tout quelques passionnés qui cherchent à faire avancer les droits des minorités sexuelles avec peu de résultats par manque de moyens et de coordination. Il paraît difficile dans ces conditions d’exercer un lobbying sur le gouvernement. Moscou est la seule grande capitale européenne qui n’a pas sa Gay Pride ! Le maire de Moscou qui a pourtant reçu Bertrand Delanoë et Ken Livingstone en grande pompe, affirme ne pas pouvoir (vouloir ?) organiser la sécurité de l’éventuel événement. L’avancée des droits, si elle ne peut venir du politique, viendra de la justice.
Propos recueillis par Jean-François Laforgerie
A LIRE AUSSI :
EN JUSTICE
Les deux ouvrages de Nicolaï Alekseev consacrés au mariage homo et aux droits des minorités sexuelles sont disponibles en anglais. Pour toute info :
www.geocities.com/smashu2000
Lire aussi :
> Russie : le mariage gay rejeté en justice
> Moscou : tentative de mariage gay
Mis en ligne le 14/03/05