Festival de Cannes
Kirill Serebrennikov, créateur audacieux rattrapé par le Kremlin
Considéré comme un des artistes russes les plus audacieux de sa génération, le metteur en scène et réalisateur Kirill Serebrennikov a profité un temps des faveurs du pouvoir. Avant d'être puni pour son effronterie.
E-llico.com / Culture / Médias
Kirill Serebrennikov, créateur audacieux rattrapé par le Kremlin
Festival de Cannes
Mis en ligne le 07/07/2021
Tags
Lors du 74e Festival de Cannes, son film, "La fièvre de Petrov", est en compétition pour la Palme d'Or. Mais Kirill Serebrennikov, 51 ans, n'ira pas le défendre, privé du droit de quitter la Russie à cause d'une condamnation pénale. Ce long métrage "est arrivé à un moment assez difficile de ma vie, comme un exutoire, une joie essentielle, voire une bouée de sauvetage", a-t-il déclaré après sa nomination.
Une référence à ses récents déboires qui ont failli l'envoyer en prison. Août 2017. En plein tournage du film "Leto", Kirill Serebrennikov est interpellé par la police et accusé de détournement de fonds publics. Dans le monde culturel russe, mais aussi à l'étranger, c'est le choc. Pour ses défenseurs, Serebrennikov est châtié pour ses créations osées, son soutien aux LGBT+ et sa critique de l'autoritarisme dans un pays au régime de plus en plus réactionnaire.
Pendant un an et demi, il est assigné à résidence, sans accès à l'internet ou au téléphone. Qu'à cela ne tienne. Serebrennikov reçoit via son avocat des clés USB avec les vidéos des répétitions de ses spectacles, qu'il supervise par le même biais, montant par exemple un opéra à Hambourg.
Dans ces conditions, il termine aussi fin 2017 un ballet sur Rudolf Noureïev, danseur génial et ouvertement gay qui avait fui l'URSS pour l'Europe. L'oeuvre, novatrice, triomphe au Bolchoï, malgré les références à l'orientation sexuelle du héros. Tout Moscou s'y presse et même le porte-parole du Kremlin assiste à la première. Cinq mois plus tard, "Leto", sur l'idole du rock soviétique Viktor Tsoï, est primé à Cannes. Serebrennikov avait coordonné le montage depuis son appartement.
Ces succès ne changent rien. Il reste enfermé chez lui sous surveillance policière jusqu'au printemps 2019. En juin 2020, il est condamné pour détournement à trois ans de prison avec sursis et l'interdiction de sortir de Russie pendant cette période. Un soulagement, alors qu'il risquait six ans ferme. La sanction, toutefois, ne s'arrête pas là.
En février 2021, la mairie de Moscou évince Serebrennikov du théâtre, le Centre Gogol, qu'il dirigeait depuis 2012. "En huit ans et demi, nous avons mûri. Mais nous ne sommes pas devenus des relous, ni des vieux cons", lance-t-il dans son discours d'adieu. "L'injustice est laide comme les mains d'un flic anti-émeute tenant un taser. Mais le théâtre permet d'y réfléchir en souriant."
Réinventer le théâtre
Avant d'incarner le combat pour la liberté artistique, Kirill Serebrennikov, né en 1969 à Rostov-sur-le-Don, s'est hissé au sommet du théâtre russe avec le soutien d'une frange de l'élite politique. Fils d'un urologue juif et d'une mère ukrainienne professeur de lettres, il monte en 2000 à Moscou où il est remarqué par l'intelligentsia. Son approche mélange innovations scéniques, sexualité, satire sociale. Et donne un coup de vieux à la tradition héritée de la scène soviétique.
Soucieux de donner une image moderne de la Russie, des cadres du Kremlin le soutiennent alors, notamment sous la présidence de Dmitri Medvedev (2008-2012), réputé moins conservateur que son parrain Vladimir Poutine. Serebrennikov travaille rapidement avec de prestigieux établissements : le théâtre d'art Tchekhov, le Bolchoï et le Mariinski de Saint-Pétersbourg. Entre 2011 et 2014, son équipe reçoit des financements publics pour organiser un festival d'art contemporain, "Platforma".
C'est pour des détournements dans ce cadre qu'il sera condamné. A partir de 2012, il transforme un théâtre sur le déclin en centre névralgique de l'avant-garde moscovite : le Centre Gogol. Serebrennikov y monte des pièces d'une liberté bouillonnante, réinventant des classiques comme les Âmes mortes.
Fou de travail, ce bouddhiste revendiqué tourne également des films, comme "Jour sans fin à Youriev" (2008), sur la cruauté de la Russie profonde, ou "Le Disciple" (2016) qui dénonce le fanatisme religieux. Mais après le retour à la présidence de Vladimir Poutine en 2012, puis l'annexion de la Crimée en 2014, les "valeurs traditionnelles" - orthodoxie, famille, patrie - reviennent en force. Honni des conservateurs, Kirill Serebrennikov aura finalement subi ce nouveau climat de censure.
Rédaction avec AFP
> PUBLICITE <