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Derek & Barbara, une rencontre
Artistes majeurs du cinéma expérimental et du militantisme queer des cinquante dernières années, l’Américaine Barbara Hammer et le Britannique Derek Jarman font l'objet d'un documentaire de Didier Roth-Bettoni, "Derek & Barbara, une rencontre", qui sera diffusé dimanche 20 février à 22h dans l'émission L'Expérience sur France Culture.
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Derek & Barbara, une rencontre
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Mis en ligne le 16/02/2022
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Barbara Hammer et Derek Jarman ne se sont à priori jamais rencontrés. Méconnus en France, mais essentiels à la fois dans le champ du cinéma expérimental et dans l’histoire des représentations gays et lesbiennes, ils ont chacun de leur côté développé des œuvres singulières qui ne cessent de résonner entre elles, tout comme leurs parcours sont jalonnés d’étapes et de motifs similaires : question de l’intime, représentation des sexualités gays et lesbiennes, mise à jour de l’histoire LGBTQI trop souvent occultée, engagements dans de multiples combats politiques et sociaux, confrontation à la mort (lutte contre le sida pour Jarman, combat pour le droit de mourir dans la dignité pour Hammer)…
Née en 1939, l’Américaine Barbara Hammer découvre presque en même temps, à la fin des années 1960, le cinéma et son homosexualité. Armée d’une caméra Super-8, elle va donc, d’une manière très autodidacte et sans tabous (ni formels ni thématiques) filmer ce que personne ne filmait alors : la sexualité féminine vue par une femme, et plus encore, la sexualité lesbienne vue par une lesbienne : son court métrage Dyketactics (1974) fait ainsi figure d’étendard du mouvement féministe lesbien.
En cela, sur ces dimensions féministes et queer, elle est une pionnière, tout comme elle est une pionnière au sein d’un cinéma d’avant-garde essentiellement jusqu’alors réservé aux hommes. Toute son œuvre va se construire autour de ces dimensions : recherches formelles visant à créer la poésie visuelle qui sourd de tous ses films même lorsqu’elle filme la sexualité, et dénonciation de l’invisibilisation des femmes et plus encore des lesbiennes à l’écran et dans la société. C’est l’objet notamment des longs métrages documentaires dans lesquels elle met à jour la dimension lesbienne occultée de vies de grandes artistes (Claude Cahun, Willa Cather, Maya Deren…) ou, comme dans sa “Trilogie des histoires invisibles” (Nitrate kisses, Tender fictions, History lessons), dans laquelle elle mêle son histoire personnelle et images de la culture populaire (films, romans, romans photos…).
Né en 1942, le Britannique Derek Jarman se destine d’abord à la peinture avant de découvrir le cinéma en signant les décors et les costumes de deux films du cinéaste Ken Russell à l’aube des seventies. Il saisit lui aussi les possibilités offertes par le Super-8 et signe une longue série de courts métrages conjuguant poésie visuelle, ésotérisme, engagement politique, sexualité… tout en devenant le réalisateur fétiche de toute la scène musicale anglaise (de Marianne Faithfull aux Pet Shop Boys en passant par Coil, Adam Ant, les Sex Pistols…) Ses longs métrages alternent une veine très expérimentale (son film Jubilee, 1977, est considéré comme l’emblème du punk) et une veine qui, sans être classique, se veut plus militante, avec la volonté de redonner leur part homosexuelle à des personnalités historiques ou culturelles dont cet aspect de la vie est gommé (Caravaggio, Edward II, Wittgenstein, Shakespeare, Benjamin Britten…).
Hammer comme Jarman sont donc, dans les mêmes années et à distance, engagés dans les mêmes recherches (aussi bien esthétiques qu’historiques ou politiques) et les mêmes trajectoires, devenant l’une comme l’autre les porte-paroles emblématiques de leurs communautés.
Pour autant, leurs engagements ne s’arrêtent pas là, et tous deux sont aux avant-postes des combats des années 1970-1980 : féminisme, écologie, droits des minorités, refus du libéralisme économique, etc.
L’un comme l’autre également ne se ménagent pas, se mettant en scène et mettant en scène leurs corps dans leurs œuvres, que ce soit le corps joyeux dans la sexualité ou le corps souffrant dans la maladie : ce sera le sida pour Jarman, le cancer pour Hammer. Pour tous les deux, il s’agit d’une lutte personnelle et politique qui passe par la création. Le sida est au cœur de plusieurs films et écrits de Derek Jarman (dont Blue, son dernier film très expérimental en 1994), tout comme le cancer et le droit à mourir dans la dignité sont omniprésents dans les œuvres et les interventions des dernières années de la vie de Barbara Hammer (son film A horse is not a metaphor, 2008, notamment). Le VIH-sida emporte Jarman en 1994, le cancer Barbara Hammer en 2019.
Ecrits, films, prises de position de Barbara Hammer et Derek Jarman sont ainsi en dialogue constants. Comme si leur rencontre intellectuelle et artistique avait eu lieu, en dépit de l’absence de rencontre physique entre eux…
Imaginée ici à partir d’extraits de leurs films, d’interviews, de conférences, de textes…, cette rencontre est illustrée par les regards très contemporains de l’historienne de l’art et activiste LGBTQI Elisabeth Lebovici et du journaliste et auteur queer Cy Lecerf Maulpoix.
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