
Eric Fassin
Le genre inquiète l'Eglise car il pose la question des sexualités
L'Eglise est particulièrement attentive au débat sur le genre, c'est-à-dire la construction sociale des sexes, parce qu'il pose la "question des sexualités et du mariage homosexuel", estime Eric Fassin, sociologue.
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Le genre inquiète l'Eglise car il pose la question des sexualités
Eric Fassin
Mis en ligne le 11/07/2011
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Identité sexuelle Genre Education Boutin
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Y'a-t-il une dimension religieuse aux questions sur le genre?
Eric Fassin: Il y a effectivement une dimension religieuse importante qui est explicite. L'Eglise catholique, du moins dans sa hiérarchie, s'est mobilisée contre le genre depuis 1995, c'est-à-dire depuis la Conférence de Pékin sur les femmes, en ayant compris que si l'on entre dans la logique du genre, cela veut dire effectivement que les rôles ne sont pas naturels.
Et si les rôles ne sont pas naturels, ce que certains théologiens du Vatican ont compris, c'est que ça ne posait pas seulement la question de la place des hommes et des femmes mais aussi la question des sexualités, par exemple la question du mariage homosexuel.
Le lien entre théorie du genre et revendication homosexuelle a donc été fait très rapidement par l'Eglise, ou du moins par le Vatican parce qu'il y a des clivages politiques au sein de l'Eglise, les versions les plus conservatrices étant les plus hostiles à tous ces discours sur le genre.
Qu'est-ce qui est en jeu ?
L'inquiétude, c'est que si même l'ordre des sexualités n'est pas fixé une fois pour toutes par Dieu ou la nature, cela veut dire que rien n'est fixé une fois pour toutes, et donc qu'il n'y a pas de limite à la logique démocratique.
La logique démocratique, c'est qu'il y a des lois, des règles, des normes et que l'on peut les discuter. Par exemple, "Etes-vous d'accord pour que le mariage soit réservé à un homme ou une femme? Etes-vous d'accord pour que l'avortement soit légal"?
Si l'Eglise se préoccupe beaucoup de ces questions et si c'est relayé par quelqu'un comme Christine Boutin, c'est précisément parce que l'ordre social n'est pas fondé sur des principes absolus.
Les vérités ne sont plus perçues comme des vérités absolues, elles représentent des valeurs. C'est cela qui est en jeu.
Pourquoi a-t-on décidé d'enseigner le genre aujourd'hui à l'école?
Cela fait plus de 40 ans que le mouvement féministe a repris de l'importance et cela a eu des effets sur le travail scientifique, pour les sciences sociales et pour les sciences de la nature.
Si la bataille aujourd'hui fait rage, c'est qu'au fond, je ne pense pas que Christine Boutin aurait la même mobilisation si on disait qu'en sociologie "On nous apprend que la place des femmes et des hommes, c'est social". On s'en doute mais ce qu'on n'avait pas encore tout à fait accepté, c'était l'idée que ce n'était pas seulement les sciences sociales qui montrent qu'il y a une construction sociale de la différence des sexes, il y a aussi les sciences de la nature. Ils se rendent compte que même la nature est construite par des repères sociaux.
Source : AFP